Dirk Steiner est professeur des universités en psychologie sociale du travail et des organisations à l’Université Côte d’Azur à Nice. Il est dans l’équipe de direction du Laboratoire d’Anthropologie et de Psychologie Cliniques, Cognitives et Social de cette université. Ses recherches portent sur la satisfaction et le bien-être au travail, le leadership et les apports de la justice organisationnelle à la qualité de vie, aux environnements non-discriminants et à la santé.
Pourquoi s’intéresse-t-on à la « Justice organisationnelle » ?
Dirk Steiner : « La justice est une valeur fondamentale chez l’être humain. Notre attachement pour la justice est une préoccupation qui semble innée et qui se manifeste dès l’enfance. Elle fait l’objet de notre éducation et socialisation également. Ainsi, il n’est pas surprenant d’attendre des comportements et des actions justes au sein de notre vie professionnelle. La situation de travail, les conditions de travail, la rémunération, les interactions sont autant de sujets qui questionnent notre sentiment de justice organisationnelle. »
Qu’elle est l’origine du concept de « Justice organisationnelle » ?
Dirk Steiner : « Dans les recherches en psychologie, différents concepts autour de ce qui fait partie maintenant de la justice organisationnelle ont été étudiés à partir des années 1950. Mais il faut attendre une publication de Greenberg en 1987 pour que le terme ‘justice organisationnelle’ soit proposé en réunissant les différentes considérations de justice et d’injustice au travail étudiés jusqu’à lors. »
Comment définir la Justice organisationnelle ? Quelles sont ses dimensions ?
Dirk Steiner : « Tout d’abord, nous pouvons citer la justice distributive qui permet de juger si une décision respecte le principe d’équité. Autrement dit, il faut que nos rétributions soient proportionnelles à nos contributions pour qu’elles puissent être considérées comme justes ou équitables. La justice distributive concerne bien sûr la répartition des ressources matérielles, mais nous pouvons aller plus loin en affirmant qu’elle concerne aussi les ressources immatérielles comme la distribution des conditions de travail ou la reconnaissance.
Le sentiment de justice interroge également comment les décisions sont prises. À cet égard, la justice procédurale repose sur le processus de prise de décision, ce qui dans une organisation renvoie en partie au degré de participation des collaborateurs.trices dans ce processus. On note que les travaux de Leventhal datant de 1976 ont permis de définir d’autres règles de justice procédurale donnant lieu à des appréciations de justice favorables : la cohérence d’application des procédures, l’impartialité, la précision des informations prises en compte, l’adaptabilité de la décision, la représentativité des considérations importantes pour les salariés et le respect de l’éthique.
Enfin, la communication de décisions par la direction ou l’autorité peut aussi donner lieu à des sentiments de justice ou d’injustice, et ce même si les décisions respectent les principes d’équité et de justice procédurale. Intervient ici une 3ème dimension : la justice interactionnelle. Elle repose sur 2 aspects : le respect de la bienveillance à l’égard des personnes (justice interpersonnelle) et la communication d’explications suffisantes pour justifier la décision même lorsqu’elle nous est défavorable (justice informationnelle). »
Pourquoi la « Justice organisationnelle » est-elle si importante pour l’établissement de la QVCT ?
Dirk Steiner : « Grâce à différentes recherches, par exemple une étude de Greenberg de 2006, on sait que l’augmentation du sentiment de justice organisationnelle, permet d’améliorer la santé et le bien-être des collaborateurs.trices. Inversement, l’injustice est un stresseur aux conséquences délétères sur la santé. On constate, face à des événements injustes, l’apparition d’émotions négatives (colère, tristesse, etc.) et de troubles psychologiques chroniques tels que l’anxiété ou la dépression. Ce sentiment d’injustice implique également des conséquences préjudiciables au niveau organisationnel, avec l’apparition de comportements contreproductifs et des taux de turnover plus importants. Le sentiment d’injustice est également associé à moins de comportements de citoyenneté organisationnelle parmi les collaborateurs, moins de confiance dans la direction, une satisfaction au travail plus faible, etc. Par ses multiples conséquences, la justice organisationnelle s’avère être indispensable à l’établissement d’une bonne QVCT. »
Lecture conseillée :
Steiner, D. D. (2016). La justice organisationnelle : Perspectives sur la bientraitance professionnelle. In J. L. Bernaud, P. Desrumaux, & D. Guédon (Eds.), La bientraitance professionnelle. Modèles, outils et dispositifs (pp. 25-38). Paris : Dunod.